Maison des Compagnons de Strasbourg : comment le BIM permet de mieux gérer la coactivité
Dès la phase conception de cet ouvrage, le recours à la maquette numérique a permis d’anticiper les risques liés à la coactivité lors du second œuvre.
Date : 31/07/2023
Clotilde de Gastines

Le BIM a été utilisé dès la conception pour réduire la coactivité.
Une convention précise les futurs modes de collaboration.
Reportage paru dans PréventionBTP n°275-Juillet-Août 2023-p. 15
Identité
Maître d’ouvrage : Compagnons du Devoir
Maître d’œuvre : Nunc Architectes et OPC : WM Projets
Entreprises intervenantes : Seltz, Isosan, Beyer, K3E, Atalu, Girold, BCM, Act, Stutzmann, EIMI
Coordination SPS : Bureau Veritas
Livraison : 22 février 2023
Coût : 11,851 millions d’euros
Conseillère en prévention OPPBTP : Laurie Zimmer

Alors que la neige recouvre Strasbourg en ce début décembre, les Compagnons du Devoir pilotent le second œuvre de leur nouveau centre de formation. Ce bâtiment-école sobre et élégant, situé en périphérie proche, étendra ses 6 321 m² de surface de plancher sur trois niveaux. Dans une ambiance calme, électriciens, carreleurs, peintres, plombiers et chauffagistes travaillent en intérieur, disséminés dans les locaux tout juste mis en chauffe. « La règle du second œuvre, c’est souvent : celui qui passe le premier a gagné, explique Nicolas Henry, qui pilote le chantier pour l’association. Nous, dès le début, nous avons dit que la prévention passerait par le respect des plans et de l’ordonnancement », ajoute cet ancien compagnon plombier, devenu ingénieur BIM, en affichant la maquette numérique 3D du bâtiment sur grand écran.
Son credo : ne pas laisser place au doute. Dès la phase concours, une coopération étroite avec l’OPPBTP et la Carsat permet d’identifier plus de trois cents problématiques santé-sécurité pour corriger la maquette BIM. Il en tire une synthèse technique très aboutie, avec des plans DCE (dossier de consultation des entreprises) de niveau exécution. Une convention BIM précise les futurs modes de collaboration à toutes les entreprises.
Identifier les besoins pièce par pièce
Quatre mois avant l’entrée du second œuvre sur le chantier, Nicolas Henry réunit les chefs de chantier et leurs ouvriers. L’ingénieur, qui navigue en 3D comme un poisson dans l’eau, projette la maquette numérique sur un grand écran devant l’assemblée et passe en revue les plans. « On a identifié les besoins pièce par pièce sur la pose des réseaux techniques et on a repéré toutes les zones sensibles du chantier. » Objectif : définir l’ordre de passage et d’intervention de chaque lot afin de réduire les conflits potentiels, organiser la fourniture des matériaux, le stockage et limiter la coactivité en zone étroite, facteur d’accident. Les entreprises ont accès à la maquette sans avoir besoin d’acheter le logiciel grâce à une visionneuse BIM. Sur le chantier, des QR codes affichés dans chaque pièce permettent de confirmer les ordres de passage. Un rendu panoramique à 360 degrés de la pièce terminée apparaît sur tablette ou smartphone géolocalisé dans la maquette numérique. Grâce à la fonction gyroscope, l’image virtuelle est parfaitement alignée au réel chantier. Livré fin février, au terme de dix-huit mois de travaux, le chantier affiche zéro accident du travail et zéro jour de retard.
Le BIM définit l’ordre de passage quatre mois avant l’entrée du second œuvre.
Les apports du BIM : préfabrication, suivi et maintenance
Les entreprises de second œuvre ont pu exporter les quantitatifs depuis la maquette numérique pour assurer la préfabrication de leurs éléments de construction : 100 % des supportages communs de tuyauterie, gaine et chemin de câble, 85 % des gaines de ventilation, 75 % des tuyauteries de CVC (chauffage, ventilation, climatisation), plomberie. La préfabrication améliore le temps et les délais d’exécution, la sécurité des opérateurs, la gestion de la coactivité, l’ergonomie et réduit la pénibilité. La préfabrication permet aussi de réduire fortement les nuisances sonores et des déchets sur le chantier avec les manutentions associées. Le chantier ne comportait d’ailleurs aucune benne de déchets.
Dans ce bâtiment-école, où seront formés de futurs compagnons du bâtiment, une cinquantaine d’étiquettes peuvent être flashées avec un smartphone pour afficher un résumé des réalisations allant de la densité du mur, à l’amenée des fluides ou encore les conditions de maintenance.
« Je n’avais jamais travaillé avec la maquette numérique et des tablettes comme ça. Ça change complètement la coactivité. On n’est jamais en conflit, on est bien, très bien même. Ça nous aide, ça nous tranquillise. On voit tous les lots tout de suite. Et après, on sort chacun nos plans. Regardez, si je vous sors les plans de tuyauterie du pôle goût, sous la dalle, vous voyez mes 700 mètres linéaires de tubes ! », explique Dominique, plombier du Groupe Beyer.
Focus sur les actions de prévention

Sécurisation nacelle.
Dardan, de la société ACT, manœuvre pour aller fixer les tuyaux qui aspireront la poussière de l’atelier. L’alerte sonore résonne dans la pièce pour prévenir toute personne qui y pénètrerait
Se projeter et anticiper
Le BIM c’est bien, on flashe le QR Code de la pièce avec notre smartphone ou la tablette Dalux. Les cheminements apparaissent en image 3D. Nos opérateurs visualisent mieux qui passe où, et c’est plus facile de se projeter et d’anticiper. On discute beaucoup avec les autres entreprises et on s’organise pour ne pas se gêner.
Joël Oberlé, chauffagiste, EIMI
Trois jours pour tout remettre en ordre
L’anticipation par l’outil numérique va de pair avec la sensibilisation sur le terrain. Quand j’ai récupéré le chantier, début décembre, il y avait un problème de nettoyage et de tenue. J’avais des stocks dans un coin pour des interventions à l’autre bout de la zone. Des matériaux et des reliquats traînaient, ce qui engendrait des risques de chute de plain-pied. Il a fallu trois jours pour tout remettre d’équerre et j’ai finalisé le plan général de coordination (PGC) et le plan particulier de sécurité et de protection de la santé (PPSPS), qui n’avaient pas été correctement ficelés par mon prédécesseur.
Nadia Ruiz, coordonnatrice SPS de Prev et Co BTP
Un niveau de détail exceptionnel
Au début, je ne voyais pas l’intérêt d’utiliser cette tablette, mais maintenant je ne peux plus m’en passer. Souvent l’électricité, les petits interrupteurs… c’est ce qui est le moins représenté sur les plans. Mais là, la maquette numérique permet d’avoir un niveau de détail exceptionnel. Je peux vérifier toutes les indications et les cotes, voir les chemins de câbles et les branchements de mes vingt tableaux électriques.
Murat Subul, chef de chantier électricien, K2E
Le + prévention : Allier humain et numérique pour assurer la sécurité du chantier

Une plate-forme numérique collaborative
Grâce à la plate-forme collaborative AxeoBIM, les informations ne sont plus dissociées, les mails ou les pièces jointes ne se perdent plus. Le registre journalier, les plans, le permis de construire, tous les documents réglementaires sur la santé sécurité sont en ligne – au total 3 737 documents à la date de notre reportage. Les 144 acteurs du projet, les collectivités locales (Eurométropole Strasbourg), la Carsat et l'OPPBTP y ont accès en temps réel.