En résumé

    Les connaissances issues des travaux de l’IRSST doivent aider les entreprises à progresser en prévention.
    Tourné vers l’avenir, l’IA et les changements climatiques figurent au programme des travaux de l’Institut.

    Interview parue dans PréventionBTP n° 272-Avril 2023-p. 34

    272 Grand entretien - Lyne Sauvageau

    ©Julian Haber

    Lyne Sauvageau, présidente-directrice générale de l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST), expose les missions de recherche et d’expertise confiées à cette organisation paritaire. Une nouvelle loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail impacte l’activité de l’Institut. Certains de ses travaux concernent directement le secteur de la construction. Éclairage.

    Parcours

    Lyne Sauvageau est présidente-directrice générale de l’IRSST depuis 2019. Elle est également membre du conseil d’administration de l’Acfas (association canadienne francophone qui soutient la recherche scientifique) et du Fonds de recherche du Québec-Santé. Elle détient un doctorat en santé publique de l’Université de Montréal et une maîtrise en science politique de l’Université de Laval.
    2004 à 2009: vice-présidente aux programmes au Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture.
    2010-2019: vice-présidente à l’enseignement et à la recherche de l’Université du Québec.

    Vous présidez l’IRSST depuis août 2019. Quelles sont ses principales missions et quels travaux produit-il ?
    Notre rôle est de contribuer à la prévention et à la santé sécurité des travailleurs par la recherche et par l’expertise de nos laboratoires. Nous avons aussi un mandat de transfert de connaissances sur la prévention, dans tous les secteurs. Une partie de notre activité est consacrée à la réadaptation et au retour durable au travail des personnes ayant subi des lésions professionnelles*. Nous réalisons nous-mêmes des recherches et nous en finançons également. Nos laboratoires ont un rôle important : ils définissent des méthodes d’analyse pour des contaminants des lieux de travail par exemple, ils ont un rôle de métrologie appliquée à la SST et d’étalonnage. Certains sont spécialisés dans le dénombrement des fibres d’amiante. De plus, l’IRSST diffuse, fait de la veille et mobilise les connaissances produites au Québec et ailleurs pour être le lieu de référence des spécialistes de la prévention des risques.


    Comment les entreprises sont-elles associées à vos travaux ?
    Nous encourageons la recherche appliquée, ancrée dans les besoins exprimés par les milieux de travail. Les connaissances produites doivent éclairer leur action. Parfois certaines entreprises sont engagées dans des recherches. Mais la recherche fondamentale peut être nécessaire, et nous devons être vigilants à conserver des compétences dans tous les domaines du savoir. Par exemple, pendant la pandémie de Covid-19, il a été très utile de disposer de compétences sur la ventilation.

    Nous encourageons la recherche appliquée, ancrée dans les besoins exprimés par les milieux de travail. 

    Lyne Sauvageau


    Comment définissez-vous vos axes de recherche ?
    Un comité scientifique évalue la pertinence des projets et leur caractère prioritaire, dans la limite de nos capacités financières. Il regroupe quatorze personnes : des représentants d’employeurs, des représentants de travailleurs et des scientifiques. Il analyse par exemple si, sur certains sujets, il est nécessaire de faire avancer les connaissances ou si nous avons assez de données pour construire un guide. Nous avons aussi des programmations au long cours sur cinq à dix ans.


    La récente loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail votée en 2021 influence-t-elle vos travaux ?
    Oui, notre environnement est en train de changer. La loi a étendu l’obligation de disposer de mécanismes de prévention à tous les secteurs et organisations, quelle que soit leur taille. Un grand nombre d’entreprises devront se doter d’un plan d’action en santé et sécurité au travail. L’autre grande avancée concerne tout le volet de l’intégrité psychique, un sujet nouveau pour nous. Les employeurs doivent donc prendre les mesures nécessaires pour protéger non seulement l’intégrité physique, mais également cette intégrité psychique. Cela peut aller jusqu’aux violences conjugales et aux violences à caractère sexuel en milieu de travail. L’employeur doit mettre en place les moyens pour protéger la personne : par exemple, modifier ses horaires de travail ou lui donner du temps. Nous redéfinissons nos thématiques et axes de recherche. Le maintien au travail, la prospection des données en SST, l’identification des dangers, l’estimation et l’évaluation des risques, qu’ils soient chimiques, biologiques, mécaniques, physiques ou psychosociaux font partie de nos champs d’intervention. Nous travaillons aussi sur l’organisation du travail et sur les populations vulnérables (jeunes, travailleurs étrangers…).


    Concrètement, quels documents produisez-vous ?
    Nos chercheurs rédigent bien entendu des articles et des rapports scientifiques. Nous produisons des guides, des fiches… Nous favorisons aussi l’accès à une trentaine d’applications Web. Exemple : e-clos, qui aide les responsables concernés à gérer les risques des interventions en espaces clos en prenant en compte les dangers potentiels et la réglementation québécoise. La pandémie a eu un impact sur notre investissement dans la communication sur le Web et notre volonté d’être davantage connus par le grand public. Notre série documentaire Facteurs de risque, produite par Savoir média, aborde la sécurité au travail sous forme de vidéos avec des chercheurs, des témoignages de travailleurs, des visites de lieux de travail. Sur chaque thème précis, nous privilégions une approche positive, et parfois avec de l’humour, axée sur des solutions destinées à améliorer la sécurité.

    Beaucoup de technologies sont en développement pour prévenir les collisions, certains de nos travaux y sont consacrés.

    Lyne Sauvageau


    Quels sont les risques majeurs auxquels sont confrontés les travailleurs et quelle est la tendance d’évolution des lésions professionnelles ?
    Notre système de prévention est sous la responsabilité des provinces. Au Québec, nous avons observé une diminution progressive des lésions jusqu’en 2015, puis l’ensemble des lésions ont commencé à augmenter significativement depuis. Bien que les accidents demeurent de loin la première cause de lésion professionnelle, les maladies professionnelles sont en augmentation plus rapide. Nous avons observé une hausse notable des surdités professionnelles, et 89 % des maladies professionnelles sont des troubles de l’oreille.


    Quels sont vos principaux sujets de recherche en lien avec le secteur de la construction ?
    Nous avons réalisé une étude récente sur le contrôle des énergies dangereuses, spécifique au secteur de la construction. L’objectif de cette étude est de mieux comprendre les pratiques des électriciens, frigoristes, mécaniciens et tuyauteurs, avec notamment l’application du cadenassage (consignation, NDLR) et de méthodes alternatives pour certains chantiers. Nous avons publié une fiche de synthèse sur les troubles musculo-squelettiques chez les ferrailleurs, où nous identifions les facteurs de risque et des pistes de prévention spécifiques. Plusieurs de nos études portent sur les harnais de sécurité et nous finalisons un site Web qui aidera à sélectionner le bon gant de travail à utiliser en fonction de chaque tâche à réaliser, pour de multiples métiers. Pour lutter contre les chutes de plain-pied, encore trop nombreuses, un de nos services a évalué l’adaptation de certaines semelles de bottes en fonction des sols, afin d’éviter les glissades. Nos sujets sont très variés !


    La diffusion de nouvelles technologies et l’intelligence artificielle ont une incidence sur vos travaux…
    En effet, nous avons par exemple publié une étude sur l’état de l’art des technologies actuelles facilitant une gestion thermique intelligente dans les équipements de protection individuelle. Nous avons aussi un projet concernant la conduite de camion et la gestion du sommeil, avec l’utilisation de l’IA pour éviter l’endormissement au volant. Beaucoup de technologies sont en développement pour prévenir les collisions, certains de nos travaux y sont consacrés. Autre sujet émergent et important pour nous, sur lequel deux rapports ont été produits : les mesures d’adaptation à prendre pour protéger la santé et l’intégrité des travailleuses et travailleurs du Québec face aux changements climatiques.


    Le Canada a travaillé de longue date sur la mise en avant des bénéfices économiques de la prévention. Pourquoi selon vous cette approche a-t-elle un intérêt ?
    Il n’est pas facile de montrer l’avantage économique et d’estimer la rentabilité d’une action de prévention. Nous avons d’ailleurs réalisé sur ce sujet un document qui décrit les différents concepts méthodologiques liés à la réalisation d’une analyse de rentabilité portant sur la prévention des lésions professionnelles. On voudrait dire à tout le monde que c’est très rentable d’investir en prévention. Le coût humain seul, au-delà du coût des lésions, est un argument important pour convaincre de financer des démarches de prévention. Nous souhaitons que la prévention soit perçue comme un investissement davantage que comme un coût.


    *Le terme lésion professionnelle désigne une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l’occasion d’un accident du travail, ou une maladie professionnelle.

    Portrait chinois

    Votre mot préféré  ? Collaborer et concevoir.
    Le mot que vous détestez  ? Banal.
    Le métier que vous auriez aimé exercer en dehors du vôtre  ? Un métier artistique.
    Le métier que vous n'auriez pas aimé faire  ? J’ai une fascination pour la logistique de menus détails mais j’aurais été incapable d’exercer un métier qui nécessite les qualités requises.
    Votre bâtiment préféré  ? Je citerais plutôt un architecte québécois, Pierre Thibault, pour son souci de l’interaction entre l’être humain, le bâti et le territoire dans lequel il habite, naturel ou urbain.
    Le son, le bruit que vous aimez  ? Celui de l’eau, la pluie, les vagues.
    Le son, le bruit que vous détestez  ? Les bruits sourds de vibrations.
    Le livre que vous emporteriez sur une île déserte  ? Un guide de survie sur une île déserte pour les Nuls !
    Une personnalité pour illustrer un nouveau billet de banque  ? Plutôt quelque chose qui symbolise l’avenir pour se rappeler qu’on doit investir dans l’avenir.

    PROFIL

    IRSST
    L’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) est un organisme de recherche à but non lucratif québécois fondé en 1980. Il est reconnu pour l'expertise de son personnel et la qualité de ses travaux. Son conseil d'administration est composé d’un nombre égal de représentants d’employeurs et de travailleurs. Dans l’esprit de la loi sur la santé et la sécurité du travail et de la loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, sa mission est de contribuer à la santé et à la sécurité des travailleuses et travailleurs par la recherche, l’expertise de ses laboratoires, ainsi que la diffusion et le transfert des connaissances dans une perspective de prévention et de retour durables au travail. L’IRSST se démarque par ses quatre leviers scientifiques, soit la recherche, les programmes de subvention, les laboratoires et la diffusion, la veille et la mobilisation des connaissances.

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