Martial Brun : « Pour une culture de prévention dans les TPE et les PME »
Présanse est l'organisme qui fédère les services de prévention et de santé au travail interentreprises en France. Rencontre avec son directeur général.
Dernière mise à jour le : 29/09/2025
Armelle Gegaden
En résumé :
- Un million de salariés supplémentaires ont été pris en charge par les SPSTI après le Covid.
- Au-delà du suivi individuel, les SPSTI membres de Présanse accompagnent les entreprises vers une culture de prévention.
Interview parue dans PréventionBTP n°298-Juin 2025-p. 34

Présanse fédère plus de 160 services de prévention et de santé au travail interentreprises (SPSTI). Leur mission est d'accompagner les entreprises, des TPE et des PME, qui ne disposent pas de service autonome en santé au travail. Martial Brun, son directeur général, apporte son éclairage sur la loi du 2 août 2021, qui vise à renforcer la prévention en santé au travail en passant d'une logique de réparation à une culture de la prévention, basée sur l’analyse des risques. La réforme accorde plus de place au DUERP et donne au médecin du travail la possibilité de déléguer certaines missions aux membres de son équipe pluridisciplinaire.
Diplômé de l'École de Gestion et de Commerce (EGC)
1992 : intégration dans la direction du service de médecine du travail de Saône-et-Loire.
Il participe à un projet pionnier en matière de pluridisciplinarité en santé au travail.
1997 : passage dans des organismes de formation professionnelle, en tant que responsable de leur développement.
2003 : intègre le Cisme, qui deviendra Présanse en 2018.
2009 : nommé directeur général du CISME
Depuis 2018 : directeur général de Présanse.
Avec près de quatre ans de recul, comment évaluez-vous l'impact de la loi du 2 août 2021 sur le suivi de la santé des salariés, notamment ceux du BTP ?
Cette réforme a déjà des effets tangibles. Un rapport d’information parlementaire, signé par Charlotte Parmentier-Lecocq et Sébastien Delogu, souligne des avancées significatives. Nous avons, par exemple, pris en charge un million de salariés supplémentaires après la pandémie de Covid-19, et ce, malgré notre démographie médicale*. Entre 2022 et 2023, nous avons enregistré des progressions à deux chiffres concernant des outils comme la fiche d'entreprise, qui est une aide précieuse à la préparation du DUERP. Rappelons que cette loi transpose en grande partie l’accord national interprofessionnel du 9 décembre 2020, qui a redéfini les attendus pour les services de prévention et de santé au travail interentreprises. La loi a instauré une offre socle autour de trois volets : l’accompagnement des entreprises dans la prévention des risques professionnels, le suivi individuel de l'état de santé des salariés et la prévention de la désinsertion professionnelle. Le suivi individuel, souvent perçu comme notre mission principale, ne représente aujourd’hui qu'un des trois pans de notre offre de services.
Cette loi vise un renforcement de la prévention primaire, à travers notamment le DUERP. Beaucoup de TPE et de PME n’en ont pas encore. Est-ce un levier pourtant essentiel ?
Le DUERP est une priorité : il marque la mise en route d’une démarche de prévention. L’importance de cet outil a été réaffirmée grâce à la réforme. Mais il ne faut pas confondre formalisme et efficacité. Il est difficile de demander aux TPE de produire un document de cent pages ! Ce qui importe, c'est que l'entreprise s'engage dans une démarche d'évaluation des risques et mette en place un plan d'action. Le DUERP est, selon les textes, de la responsabilité de l'employeur. Il ne sera efficace que si les entreprises s’y investissent pleinement et bâtissent leur plan d’action. Le rôle des services de prévention et de santé au travail est de les accompagner dans cet exercice et de leur apporter des compétences, notamment sur des sujets complexes, comme la manipulation de produits chimiques dans le BTP.

Nous devons sortir d'une logique de conformité réglementaire pour entrer dans une culture de prévention.
L’idée n’est donc pas, pour les entreprises, de cocher une case…
Nous devons sortir d'une logique de conformité réglementaire pour entrer dans une culture de prévention. C’est là que le DUERP prend tout son sens. Parfois, il ne comporte qu'une ou deux actions. Ce ne doit pas être un frein. Si l'outil est accessible, pertinent et faisable, cela initie le processus d'amélioration continue. Au-delà du nombre de DUERP en France, ce qui compte c'est leur impact. Pour les aider, nos services ont développé des outils numériques, qui nous permettent de suivre l'évolution de l’entreprise et de la conseiller de façon dynamique.
Quelle est la perception des petites et moyennes entreprises ?
L’immense majorité des entreprises a la volonté de bien faire. D’ailleurs, dans les TPE et PME du BTP, le patron est souvent exposé aux mêmes risques que ses salariés. L’enjeu, c’est l’accessibilité. Les solutions doivent être utiles et faciles à déployer dans le quotidien d’un artisan. Si une solution sécurise les échafaudages, par exemple, et peut même être financée, elle est adoptée. Quand nous démontrons le sens d’une démarche et l'aide qu'elle représente, y compris pour la conformité légale, les obstacles disparaissent. Le grand défi pour nous, c'est de couvrir toutes les entreprises de notre giron : 1,5 million. On y parvient grâce à nos 18000 collaborateurs sur le territoire et notre modèle de proximité unique avec les entreprises.
Comment les SPSTI ont-ils pu prendre en charge un million de salariés supplémentaires depuis la crise sanitaire ?
Pour ce qui est du suivi individuel, les visites réalisées par des infirmiers ont augmenté de 19 %. Et nous embauchons. Leur nombre va bientôt dépasser celui des médecins, qui délèguent et ciblent leurs visites sur les personnes qui en ont le plus besoin. C’est le signe de la pluridisciplinarité. Il s’agit de mettre la bonne compétence en face du salarié, en se souvenant qu’une demande de visite avec le médecin du travail est possible à tout moment. D'ailleurs, la part des visites dites « à la demande » est en forte croissance, ce qui permet un ciblage plus fin que les visites périodiques. Nous continuons de voir, chaque année, entre 36 à 40 % des salariés. Cela représente environ 8 millions de visites.

Martial Brun, directeur général, Présanse
Réussir en prévention implique des changements de long terme. Dans ce domaine, l'impatience peut être contre-productive.
Ces évolutions sont souvent présentées comme une réponse à la difficulté de recruter des médecins du travail…
En effet, mais la pénurie de médecins a été l’opportunité de nous poser les vraies questions : de quelles compétences avons-nous besoin pour accomplir nos missions ? Quand on parle de la prévention de la désinsertion professionnelle, par exemple, c'est parfois d’une assistante sociale dont nous avons besoin. Il y a trente ans, le médecin du travail était un homme-orchestre. Aujourd'hui, c’est un chef d'orchestre : il pilote une équipe pluridisciplinaire. Car tout ne doit pas être médicalisé.
Quelle est votre stratégie pour répondre à la pénurie médicale ?
C’est une bataille quotidienne. Notre stratégie repose sur plusieurs leviers. Premièrement, nous cherchons à préserver le temps médical existant. Cela signifie utiliser au mieux le temps disponible de nos médecins, là où leur compétence experte est la plus nécessaire. Deuxièmement, il nous faut des enseignants. Quand une région n'a plus de chaire en médecine du travail, elle devient un désert médical. Ensuite, il faut travailler sur l'attractivité de la spécialité. La médecine du travail n'est pas promue pendant les études de médecine. Nous expérimentons une mesure simple mais très efficace : nous proposons à des étudiants en médecine d'effectuer un stage en médecine du travail. Le résultat est spectaculaire : en découvrant cette spécialité, ils réalisent à quel point elle est passionnante.
Autre sujet d’importance dans le BTP : la prévention de l’usure professionnelle traitée par les cellules pluridisciplinaires de prévention de la désinsertion professionnelle. Comment repérer les signes avant-coureurs ?
Un ensemble de méthodes permettent de détecter les personnes risquant de quitter leur emploi. Il y a le repérage a priori. Actuellement, nous travaillons avec le CHU d'Angers sur un indice de risque de désinsertion professionnelle (IRDP). L'objectif est d’obtenir des critères de détection préventifs. Et puis, il y a les visites de suivi. La visite des 45 ans, par exemple, instaurée par la loi, vise à faire un bilan. Dans le BTP, cela prend tout son sens. Il y a des métiers où l'on s'use vite. Un professionnel peut déjà entrevoir à 45 ans qu’il aura du mal à aller jusqu’à 65 ans. C'est donc le moment de réfléchir à des reconversions ou de mettre en place des actions.
Quel est le sens de la certification instaurée par la loi ?
C'est un point central de la loi, et nous sommes en cours de déploiement sur ce sujet. Elle instaure une certification par tierce partie. Elle permet de vérifier l'organisation de nos services et l'effectivité des prestations que nous rendons. Cette certification découle d'une démarche d’amélioration continue que nous avions nous-mêmes initiée quelques années plus tôt pour prouver objectivement l'efficience de nos actions. Dans le cadre de la préparation de la loi de 2021, les partenaires sociaux ont souhaité préciser leurs attentes vis-à-vis des services de prévention et de santé au travail. Une fois ces attentes établies, la certification est apparue comme une suite logique pour vérifier le niveau du service apporté en réponse.
Mais pour que la prévention réussisse, il faut du temps…
Oui et beaucoup d'acteurs appellent à la stabilité du cadre. Entre les débats sur les retraites et l'absentéisme qui interpellent la Sécurité sociale, la question d'une nouvelle réforme de la médecine du travail peut surgir à tout moment. Pourtant, la loi actuelle démontre sa pertinence. Fruit d'un consensus entre les partenaires sociaux (à l'exception d'une seule organisation) et plébiscitée lors de son vote par les parlementaires, elle commence à livrer de bons résultats. Réussir en matière de prévention implique des changements de long terme sur l'organisation, la certification, l’évolution des systèmes d'information, le recrutement, etc. Dans ce domaine, l'impatience peut être contre-productive.
* Le nombre de médecins du travail a connu une baisse de 21 % depuis 2010. Source : Conseil national de l'Ordre des médecins.
Présanse fédère plus de 160 services de prévention et de santé au travail interentreprises (SPSTI). Cet organisme compte une douzaine de SPSTI membres correspondants qui sont spécifiquement dédiés au secteur du BTP. Ces associations loi 1901, gérées de manière paritaire et présidées par un employeur, ont pour mission d'accompagner les TPE et PME qui ne possèdent pas leur propre service de santé au travail. Avec ses 18 000 collaborateurs, dont 22 % de médecins, 17 % d'infirmiers et des équipes pluridisciplinaires (ergonomes, psychologues…), Présanse facilite la réalisation des missions de ces SPSTI. Présanse couvre 1,5 million d'entreprises.