En résumé
    • La gestion de la pénibilité en fonction de l'âge devient une question cruciale.
    • L’investissement dans la prévention peut offrir des avantages économiques tangibles aux entreprises.

    Interview parue dans PréventionBTP n°281-Février 2024-p. 34

    281 Sylvie Znaty, titulaire de la chaire Prévention des risques du Conservatoire national des arts et métiers

    ©Julien Znaty

    Sylvie Znaty souligne les interactions entre santé au travail et santé publique, tout comme l’importance pour les entreprises de prendre en compte davantage les enjeux environnementaux et sociétaux dans la prévention des risques professionnels. Sans compter d’autres défis à relever par les entreprises : ceux du vieillissement au travail ou de l’émergence de nouvelles technologies.

    Parcours

    Sylvie Znaty, ingénieure en sécurité sanitaire et titulaire de la chaire prévention des risques professionnels et environnementaux
    au Cnam.
    2005. Manager HSE dans la construction pour l’énergie pétrolière et gazière, Eiffage.
    2014. Experte culture sécurité pour Total.
    2017. Consultante senior des facteurs humains et organisationnels à l’Icsi.
    2020. Manager environnement pour la construction des champs éoliens offshore, EDF.
    2021. Titulaire de la chaire Prévention des risques du Cnam.


    Quelle est votre vision de la prévention des risques professionnels aujourd'hui?
    Depuis la Révolution industrielle, le monde du travail a subi des transformations radicales, évoluant avec une rapidité et une complexité sans précédent dans l'histoire. L'ère post-1960 marque un tournant significatif, avec des changements profonds et continus qui ont façonné notre rapport au travail. De l'émergence de la technologie de l'information à la mondialisation, en passant par l'accent croissant mis sur l'équilibre travail-vie personnelle et la diversité sur le lieu de travail, nous devons intégrer toutes ces transformations. Elles influencent non seulement la nature du travail lui-même, mais aussi la manière dont les individus et les sociétés l'appréhendent en sus des mutations économiques et changements climatiques ou socioculturels que nous subissons. Le triste constat au XXIe siècle d'avoir encore 700 morts et quelque 10 000 blessés par an en France à l'occasion du travail est inacceptable. Dans ce contexte de complexité, les entreprises ont de plus en plus besoin d’intégrer la prévention et de se faire aider pour cela.


    Vos travaux soutiennent que la santé au travail est le parent pauvre de la santé publique. En quoi est-ce un problème pour mieux prendre en compte la prévention en entreprise?
    Historiquement, l'attention s'est principalement portée sur les risques classiques et professionnels, tels que les accidents du travail et les maladies liées à certaines professions. Mais plutôt que de parler de santé publique, je dirais plutôt santé populationnelle. Oui, la santé au travail agit sur les individus et les groupes et, en cela, elle fait partie de la santé publique. Mais ce débat est purement conceptuel. L’important est l’émergence des risques systémiques. Le changement climatique et les épidémies sont des exemples flagrants. Alors bien sûr, la responsabilité de la santé publique incombe principalement à l'État, qui doit mettre en place des politiques et des systèmes de santé efficaces pour l'ensemble de la population. En revanche, la santé au travail relève de la responsabilité de l'employeur, qui doit assurer un environnement de travail sûr et sain pour ses employés. La pandémie de Covid-19 a démontré qu'il n'y avait pas de frontière, ni entre les pays ni entre la santé publique et la santé au travail.

    Maintien en emploi des seniors et prévention de la désinsertion professionnelle sont au programme de l'appel à projets du Fact.

    La prévention des risques ne doit pas être vue comme le domaine exclusif des HSE.


    L’usure professionnelle est l'un des grands enjeux du travail. Comment les entreprises devraient-elles l’anticiper?
    Avec l'allongement de la vie professionnelle, la gestion de la pénibilité en fonction de l'âge devient une question qu’il faut se poser, particulièrement dans les petites et moyennes entreprises (PME), comme dans le secteur du bâtiment par exemple. Elles sont limitées en ressources et peuvent trouver difficile d'adapter les conditions de travail. Dans les grands groupes, l’accompagnement des évolutions de carrière à travers des formations continues offre une solution, tout comme l’orientation vers des rôles de formateurs experts, transmettant des connaissances et des compétences essentielles pour s'adapter à des rôles moins exigeants physiquement. Les mentors ou les managers de proximité, préalablement formés à la SST, peuvent jouer un rôle de soutien, offrant des conseils, une formation et un encadrement adaptés. Le constat aujourd’hui est un taux d'absentéisme élevé dans les environnements de travail qui ne prennent pas en compte l'âge et la pénibilité, et donc un poids financier très lourd pour l’entreprise.


    Vous avez travaillé sur la crise du Covid-19. Qu’a-t-elle fait évoluer dans les entreprises en matière de prévention?
    La crise du Covid-19 a servi de catalyseur et a encouragé à internaliser la prévention, jusqu'alors souvent perçue comme une injonction externe ou réglementaire. La pandémie a montré que la prévention est une composante essentielle de la résilience et de la continuité des activités avec la nécessité de compétences diversifiées en prévention sanitaire, environnementale, de gestion de crise et d'organisation du travail. Hélas, nous constatons que les entreprises ont peu l’occasion d’un retour d'expérience (REX) complet sur cette crise pour évaluer ce qui a fonctionné et ce qui doit être amélioré. Ce serait pourtant essentiel pour se préparer aux futures épidémies, qui semblent inévitables.


    Vous évoquez l'importance de la coordination entre tous les acteurs d'une entreprise. Quelle est-elle pour la prévention des risques?
    La prévention des risques ne doit pas être vue comme le domaine exclusif des HSE. Bien qu'ils soient, ou devraient être, des experts formés et qualifiés pour accompagner les décideurs, la prévention est en réalité une responsabilité partagée, quel que soit le rôle ou la position dans l'entreprise. Depuis les années 1980, on parle de culture de sécurité. Au-delà de la relation « client », l'objectif doit être une relation de partenariat de bonne exécution et aboutissement d'un projet. Je l'ai vécu au grand bénéfice de la prévention et de l’entreprise. Seul un engagement actif de tous peut y parvenir : MOA (maîtres d'ouvrage), MOE (maîtres d'œuvre), sous-traitants et fournisseurs. Aucune réalisation n'est exempte d’aléas. Les directives et le niveau d'implication doivent être clairement définis et exprimés dès les processus de planification et de conception, tout comme les moyens nécessaires doivent être prévus et budgétés. Par exemple, la récente tempête de novembre 2023 a mis en lumière les risques liés à la mobilisation de salariés de services de maintenance dans des environnements non routiniers. Des accidents mortels sont survenus. Je ne veux pas porter de jugement sur les sources et circonstances, mais nous devons prendre conscience que ces situations sont ou vont être de plus en plus fréquentes.

    Avec l'allongement de la vie professionnelle, la gestion de la pénibilité en fonction de l'âge devient une question qu’il faut se poser.


    Quelles opportunités mais aussi quels risques les technologies numériques présentent-elles dans le monde du travail?
    L'ère du numérique, tout en révolutionnant le monde du travail, présente une dualité de bénéfices et de risques. D'un côté, elle a considérablement amélioré la santé et la sécurité au travail en rendant les procédures de sécurité plus immédiates, personnalisées et accessibles. Cependant, cette évolution n'est pas sans risques. L'infobésité et la surcharge d'informations due aux technologies numériques entraînent une augmentation de la charge cognitive. La technologie, bien qu'offrant une plus grande liberté de mouvement, a également supprimé les pauses naturelles, contribuant à une culture du travail permanent. De plus, l'omniprésence de la technologie dans notre vie quotidienne peut conduire à des problèmes de santé mentale tels que l'anxiété et la dépression, exacerbés par l'addiction à la technologie, comme le phénomène du Fomo (Fear of missing out, « peur de rater quelque chose »). En somme, le numérique est un outil puissant dont l'utilisation judicieuse par une approche équilibrée peut enrichir le milieu professionnel.


    Les entreprises sont aussi davantage confrontées à la gestion des risques environnementaux…
    Oui, la prévention doit s'étendre aux dimensions sociales et environnementales, anticipant les impacts potentiels sur la santé, comme les vagues de chaleur extrêmes ou les phénomènes météorologiques violents ou la dégradation de la qualité de l’air, et adapter leurs process de production et leurs stratégies de prévention en conséquence


    Vous accordez une grande importance à la veille que peuvent mener les entreprises pour progresser en prévention. Que doit-elle recouvrir?
    La veille dans les entreprises, traditionnellement axée sur les aspects réglementaires, doit évoluer pour embrasser une perspective plus large ; plus proactive et inclure une surveillance constante des avancées technologiques, des meilleures pratiques de l'industrie, et des tendances émergentes pour anticiper et réagir aux défis changeants du monde du travail. Par exemple, les applications de l'intelligence artificielle, la robotique ou les exosquelettes permettent ainsi aux entreprises de rester à la pointe de la technologie, d'améliorer continuellement leurs processus de sécurité et d'assurer la protection optimale de leurs employés.


    Quelles sont vos perspectives de recherches dans la prévention?
    Lors de ma récente leçon inaugurale au Cnam, qui fut parrainée par Paul Duphil, secrétaire général de l’OPPBTP, nous avons partagé notre détermination à poursuivre le travail pionnier de l'organisme sur le retour sur investissement (ROI) dans la prévention. Ce concept souligne que l'investissement dans la prévention n'est pas seulement une obligation morale ou réglementaire, mais peut également offrir des avantages économiques tangibles aux entreprises. Ces axes de recherches viseront non seulement à identifier les meilleures pratiques et à comprendre comment ces dernières peuvent être intégrées dans les politiques et procédures des entreprises ou des organisations, et créer des environnements de travail plus sûrs et plus sains. C’est notre devoir de chercheurs de trouver les gestes, les actes, les précautions qui éviteront l’accident, tout comme c’est notre devoir d’enseignants de transmettre la connaissance et la compétence qui faciliteront leur mise en œuvre de ces résultats.

    Chaire Prévention des risques professionnels et environnementaux

    La chaire Prévention des risques professionnels et environnementaux du Cnam forme à la prévention et à l’évaluation des risques liés au travail et à l’environnement. La chaire propose une gamme de qualifications du bac+1 au doctorat. Le laboratoire affilié MESuRS, (Modélisation, épidémiologie et surveillance des risques sanitaires) développe des outils quantitatifs pour l’évaluation des risques, avec des axes de recherche spécifiques sur les risques professionnels et infectieux. Le Cnam participe à la diffusion de la culture scientifique et technique, et offre la possibilité à quiconque de se former tout au long de la vie, en formation continue ou en cours du soir.

    PORTRAIT CHINOIS

    Votre mot préféré ? Confiance.
    Le mot que vous détestez ? Non.
    Le métier que vous auriez aimé ou n'auriez pas aimé faire ? Tous les métiers ont une valeur.
    Votre bâtiment préféré ? La Tour Eiffel.
    Le son, le bruit que vous aimez ? Les rires et le chant des oiseaux.
    Le son, le bruit que vous détestez ? Les sirènes d’alarme.
    Le livre que vous emporteriez sur une île déserte ? Éloge de la folie, Erasme.
    Une personnalité pour illustrer un nouveau billet de banque ? L’abbé Grégoire.

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