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En résumé

La construction hors site présente de nombreux atouts pour la prévention des risques.
La coordination sur les chantiers a un rôle central à jouer.

Interview parue dans Prévention n° 268-Décembre 2022-Janvier 2023-p. 34

268 Grand Entretien Véronique Lamblin

©Frédéric Vielcanet

Véronique Lamblin a participé aux travaux de prospective pilotés par l’INRS ayant abouti à la publication du document : Les bâtiments de demain : quels enjeux de santé et de sécurité au travail ? La numérisation, la transition environnementale, l’industrialisation et leurs conséquences en prévention y sont abordées. Véronique Lamblin explore ici le sujet spécifique de l’industrialisation des processus de construction, ses atouts pour les conditions de travail des compagnons mais aussi les points de vigilance à retenir.


Vous avez contribué à la démarche de prospective sur les enjeux en santé et sécurité au travail menée par l’INRS impliquant des experts issus de divers organismes*. Quel a été votre rôle  ?

Futuribles, centre de réflexion et d’études prospectives, a été associé à l’étude du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) et de l’Agence de la transition écologique (Ademe) initiée en 2019 pour aider les acteurs de la filière du bâtiment à anticiper les mutations à venir. Ensuite, l’INRS a souhaité explorer les enjeux liés à la sécurité et à la santé au travail et nous a également associés pour un accompagnement méthodologique. Nous avons décliné, en les simplifiant, les scénarios retenus dans la première étude, afin de nous concentrer sur les dimensions pouvant avoir un impact sur la santé et la sécurité au travail. L’objectif de la prospective est de montrer aux acteurs du bâtiment les avenirs possibles et ce sur quoi ils peuvent agir. Pour cette étude, nous avons identifié les facteurs d’influence et nous avons construit des hypothèses documentées.

La numérisation du chantier est une opportunité pour le métier de coordonnateur SPS. Il pourrait émerger avec plus de puissance. 

Véronique Lamblin


Parmi les moteurs de transformation du secteur de la construction déjà en cours, figure l’industrialisation, à travers deux phénomènes : le développement de la construction hors site et l’émergence de la robotisation. Quelles sont les évolutions qui seraient favorables aux conditions de travail  ?
Le hors site – préfabrication ou construction modulaire – se diffuse déjà depuis vingt ans. Du point de vue des conditions de travail, les avantages de la préfabrication sont nombreux. En atelier, l’environnement de travail est plus facile à maîtriser, on peut y installer des dispositifs de captage des poussières, c’est chauffé et le lieu de travail est toujours le même. La mécanisation plus importante des manutentions limite les TMS et la réduction de la durée des chantiers est également source d’amélioration des conditions de travail. Mais cette évolution appelle plusieurs points de vigilance. Il existe un risque de déqualification des compagnons et de perte d’autonomie lié à un travail plus répétitif combiné à un risque d’augmentation des cadences. Avec les manipulations des grues apportant les éléments de grande taille sur site, des risques de choc apparaissent également. De plus, les éléments préfabriqués en béton demeurent lourds à manipuler et les reprises quasiment impossibles, même si la RE2020 oblige les cimentiers à évoluer vers des bétons allégés ou d’autres matériaux. Quant à la filière bois, il n’est pas sûr qu’on en ait suffisamment, ce qui pourra engendrer des importations.


Les compétences requises avec la construction hors site évoluent aussi…
En effet, la construction hors site nécessite des compétences de logisticiens et de grutiers plus conséquentes. La conception et la coordination sur les chantiers ainsi que le contrôle qualité ont davantage d’importance.

Parcours

Véronique Lamblin est ingénieur en matériaux (Université Paris XIII-1985) et titulaire d’un master en génie mécanique (Université de Laramie, Wyoming, U.S.A- 1987).
Elle a suivi une formation en gestion, finance et stratégie à l’Insead de Fontainebleau (1996).


1988-2002  :
ingénieur recherche chez Renault, puis ingénieur aux avant-projets en charge des innovations carrosserie et chargée pendant cinq ans du projet stratégique à long terme et responsable
des réflexions prospectives et stratégiques.


Depuis septembre 2002  : directrice d'Études de prospective et stratégie à Futuribles.


Vous considérez que la robotisation sur site, si elle est plus nouvelle que l’industrialisation sur les chantiers, a des perspectives de diffusion plus limitée.
Les robots existent pour beaucoup de métiers sans que leur usage soit très développé. Ils servent surtout pour la construction de masse, de grandes surfaces, car il faut de la place. Ils ne sont pas toujours faciles à utiliser en rénovation, même si le robot peintre peut être utilisé pour n’importe quelle pièce. On trouve aujourd’hui des robots maçons, des imprimantes 3D : ce sont des équipements lourds adaptés pour le neuf mais pas à un environnement contraint. De plus, ils demeurent chers. Et il faudra toujours quelqu’un pour réaliser les finitions à la main, installer la plomberie ou l’électricité… Les robots carreleurs et les robots peintres pourraient se développer, en faisant attention au risque chimique engendré par l’utilisation de la peinture. Dans ces deux cas, la robotisation saurait être un réel atout pour la prévention.


Qu’en est-il des exosquelettes  ?
Ils sont déjà utilisés dans le secteur automobile pour soulager les opérateurs effectuant des gestes répétitifs. Ils pourraient être utilisés sur les chantiers ou en préfabrication pour éviter les TMS. Ils sont moins coûteux que les robots. Mais le problème est qu’ils sont souvent adaptés à un seul geste. Sur un chantier, on le retire pour faire autre chose, ils sont plus adaptés à la préfabrication et aux gestes répétitifs. Autre limite : les exosquelettes dits actifs peuvent créer des contraintes musculaires. Les entreprises qui souhaiteraient les adopter devront donc veiller à organiser des formations pour que les opérateurs les utilisent de façon adéquate. Il sera également indispensable de ne pas prendre prétexte de leur usage pour accélérer la cadence.

268 Grand Entretien Robot Paco


La tendance à la numérisation du secteur comporte également des avantages certains grâce à l’anticipation des risques et des aléas sur les chantiers. Quels éléments avez-vous retenus
dans vos travaux  ?
Le BIM permet de mieux préparer le chantier en allant jusqu’au jumeau numérique. On peut suivre l’évolution du chantier en temps réel. Cela est bénéfique à la qualité et à la sécurité du chantier, à condition que chacun alimente la maquette avec toutes les informations nécessaires en temps réel. Il ne faudrait pas non plus que l’outil remplace la relation humaine et que les gens oublient de se parler, de passer des moments de convivialité ensemble sur les chantiers entre différents corps de métiers. Il faut qu'une collaboration humaine demeure pour que le métier garde son sens. De plus, les plates-formes BIM n’ont pas vocation à se transformer en une plate-forme Uber donnant des ordres à chacun. Au contraire, la numérisation du chantier est une opportunité pour le métier de coordonnateur SPS. Il pourrait émerger avec plus de puissance, être celui qui crée du lien sur un chantier et assure la bonne gestion de la logistique, au-delà de son intervention sur
le champ de la santé-sécurité au travail. D’un empêcheur de tourner en rond comme il est parfois perçu, il deviendrait celui qui fait se rencontrer les acteurs du chantier, les aide à collaborer pour assurer la qualité et la performance du chantier. Un coordinateur aux multiples dimensions.


*Les bâtiments de demain : quels enjeux de santé et de sécurité au travail ? INRS, juin 2002. Ont participé au groupe de travail : Jacques Balzer (Carsat Alsace-Moselle), Marc Bury (Carsat Nord-Est), Alain Delage (Vinci), Jérémy Hauwn (Bouygues Construction), Véronique Lamblin (Futuribles), Dominique Naert (Ecole des Ponts ParisTech), Philippe Robart (OPPBTP), Jean-Christophe Visier (CSTB et Ademe), ainsi que Marc Malenfer, Michel Héry et Mathilde Silvan (INRS).

PROFIL

Futuribles
Futuribles est un centre de réflexion et d’études prospectives. Depuis 1960, il joue un rôle moteur dans le développement de la prospective en France et dans le monde. Il part du principe que pour construire le futur des organisations et des sociétés, la compréhension et la prise en considération des évolutions en cours est primordiale. Le travail de Futuribles consiste à repérer, analyser et comprendre les grandes transformations en cours, à cerner les principales incertitudes, à concevoir des processus de décision et d’action intégrant la prise en compte du long terme et l’implication des acteurs dans la construction du futur. Futuribles exerce plusieurs métiers : l’édition, la veille pour les entreprises, les collectivités et les ministères, la formation à la prospective et le conseil dans l’animation des groupes de prospective. Il s’appuie sur une équipe d’une dizaine de permanents et un large réseau d’experts et de partenaires.

Parcours
Véronique Lamblin est ingénieur en matériaux (Université Paris XIII-1985) et titulaire d’un master en génie mécanique (Université de Laramie, Wyoming, U.S.A- 1987).
Elle a suivi une formation en gestion, finance et stratégie à l’Insead de Fontainebleau (1996).


1988-2002  :
ingénieur recherche chez Renault, puis ingénieur aux avant-projets en charge des innovations carrosserie et chargée pendant cinq ans du projet stratégique à long terme et responsable
des réflexions prospectives et stratégiques.


Depuis septembre 2002  : directrice d'Études de prospective et stratégie à Futuribles.

La numérisation du chantier est une opportunité pour le métier de coordonnateur SPS. Il pourrait émerger avec plus de puissance. 

PORTRAIT CHINOIS

Votre mot préféré ? Humanisme, une boussole dans mon métier.

Le mot que vous détestez ? Le politiquement correct (qui empêche de dire les vraies pensées).

Le métier que vous auriez aimé exercer en dehors du vôtre ? Guide touristique ou globe-trotter.

Le métier que vous n'auriez pas aimé faire ? Le gardiennage (quel ennui !).

Votre bâtiment préféré ? La grande verrière du Grand Palais ou la Fondation Louis Vuitton du bois de Boulogne, pour la prouesse architecturale.

Le son, le bruit que vous aimez ? Le chant des oiseaux.

Le son, le bruit que vous détestez ? Le klaxon.

Le livre que vous emporteriez sur une île déserte ? La trilogie de Michel Rio : Merlin-Morgane et Arthur.

Une personnalité pour illustrer un nouveau billet de banque ? Une femme (Marie Curie est avec Pierre sur le billet de 500 mais c’est la seule), alors Olympe de Gouge.

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