Les addictions en milieux professionnels, angle mort de la santé mentale ?
Lors des quatrièmes Rencontres de l’addictologie, organisées en ligne le 3 juin, GAE Conseil a alerté sur le fait que les addictions en milieu professionnel restent, pour l’heure, dans l’angle mort de la santé mentale. Le cabinet spécialisé a rappelé l’urgence d’intégrer pleinement la prévention et la prise en charge des addictions dans les politiques de santé au travail. Des entreprises et des branches se sont déjà retroussé les manches.
Date : 10/06/2025
Marie Duribreux

© Adobe Stock
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la santé mentale fait partie intégrante de notre bien-être. Or 62 % des Français affirment avoir déjà été confrontés à des troubles de la santé mentale, près de 45 % au cours des cinq dernières années, selon l’étude menée en janvier dernier par Odoxa pour GAE Conseil. Parmi cette population, 60 % se sentent dépendants d’au moins une pratique addictive au sens large (addiction à une substance ou à un comportement), contre 31 % des Français qui n’ont expérimenté aucun trouble psychique.
« L’addiction est une maladie chronique, mentale et récidivante, a rappelé le Dr Nicolas Prisse, président de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), lors des Rencontres de l’addictologie. L’addiction nourrit la souffrance psychique et la pathologie mentale favorise l’addiction. » « Les conduites addictives sont vues comme des béquilles, alors qu’elles entretiennent le trouble psychique, voire dégradent la santé mentale du sujet », renchérit Alexis Peschard, président de GAE Conseil. Moins de 20 % des personnes présentant un trouble de l’usage de substances psychoactives bénéficieraient d’un traitement et d’un accompagnement spécialisé ; c’est ce qu’on appelle le « Treatment Gap », explique le cabinet.
Le révélateur de la crise Covid
L’érection de la santé mentale en grande cause nationale pour l’année 2025 va-t-elle changer la donne ? « Les troubles psychiques ne sont pas nouveaux, mais la crise Covid, qui a touché la jeunesse, a provoqué un changement dans le regard que porte la société sur le phénomène », a expliqué Angèle Malâtre-Lansac, déléguée générale de l’Alliance pour la Santé mentale. Désormais, la grande cause nationale doit permettre d’aller encore plus loin dans la lutte contre la stigmatisation. Pour Angèle Malâtre-Lansac, « il est aussi indispensable de faire de la prévention, la plus précoce possible, en développant les compétences psychosociales de la jeunesse, d’informer grâce à la littératie sur les comportements à risques et, enfin, de prendre en charge les malades psychiques. » Car tout retard de prise en charge contribue à l’aggravation des troubles, à l’émergence de comorbidités psychiatriques, à la désinsertion professionnelle et sociale.
Le hic ? Pour l’heure, GAE Conseil estime que la question des addictions est marginalisée dans la grande cause nationale. Alors que de nouvelles pratiques addictives se répandent, notamment autour de l’usage des écrans. Selon le Baromètre Harris Interactive 2024 dédié de la Mildeca, « une majorité des sondés déclarent ne pas parvenir à diminuer ou arrêter leurs activités alors qu’ils souhaiteraient le faire », rappelle Nicolas Prisse. En milieu professionnel, près de huit Français sur dix seraient favorables à l’aménagement d’espaces ou moments sans écrans, « ce qui suggère que les Français expriment un besoin de régulation pour les enfants, comme pour les adultes ».
Les entreprises ne peuvent plus fermer les yeux sur ces addictions. « Il y a urgence à engager de véritables politiques de prévention et de prise en charge », assène Alexis Peschard, qui se bat contre l’idée que parler addictions dans l’entreprise serait s’immiscer dans la vie privée des salariés. « Les entreprises ont toute légitimité car elles sont doublement concernées. D’une part, les addictions altèrent les collectifs de travail et accroissent les risques d’accident et d’absentéisme. D’autre part, les actifs sont particulièrement exposés. » 51 % d’entre eux déclarent ainsi une dépendance, contre seulement 37 % des inactifs, selon l’étude GAE-Odoxa. Dans 60 % des cas, ils invoquent d’ailleurs leur environnement professionnel pour expliquer leurs difficultés.
La prévention, un travail de longue haleine
Comment s’y prendre ? « Le sujet doit s’inscrire dans le dialogue social. Il faut d’abord interroger la culture de son organisation, avant d’établir un programme de prévention sur trois niveaux – primaire, secondaire, tertiaire – qui permette de se projeter collectivement, à court et plus long terme », détaille Alexis Peschard, qui rappelle qu’instaurer une culture de prévention est un chantier s’inscrivant dans la durée. Une centaine d’employeurs (qui représentent 1,5 million de travailleurs) a adhéré au dispositif Esper (les Entreprises et les Services Publics s’Engagent Résolument) porté par la Mildeca – qui se structure autour d’une charte d’engagements et fournit de nombreux outils afin de mettre en place une démarche de prévention collective et individuelle. GAE Conseil a, de son côté, développé une formation de « bienveilleur en addictologie », qui permet à des salariés de veiller au bien-être de leurs pairs en détectant les signaux faibles.
EDF, l’une des premières entreprises à avoir signé la charte Esper, a développé une approche transdisciplinaire en matière de prévention au fil des années, reposant sur 1 500 préventeurs et une stratégie de « vigilance partagée » au niveau individuel et collectif. Au premier semestre 2025, des webinaires et des actions locales ont porté sur la santé mentale. Deux guides sur les addictions ont été produits à destination des salariés et des managers. Mais l’employeur a aussi recours à des tests d’alcoolémie nominatifs depuis 2024 sur les postes à risques, ainsi que des tests aléatoires par ailleurs, pour sensibiliser ses agents.
Le groupe de protection sociale Klésia accompagne sur le sujet la branche du transport avec le programme de prévention « Transportez-vous bien », adossé à l’accord de branche sur le régime de prévoyance des salariés non-cadres, ou les salariés des hôtels, cafés, restaurants (HCR) via leur contrat santé : fiches pratiques ou outils, vidéos et podcasts de sensibilisation, formation à la prévention des conduites addictives, ateliers de prévention avec des addictologues et des patients experts, « consultation » dédiée aux dirigeants de TPE et PME pour les aider à gérer des situations – autant d’actions financées par le Haut degré de solidarité.
Quid de la sanction ? Le maintien dans l’emploi est à rechercher avant toute chose, la sanction ne doit intervenir qu’en dernier recours de l’avis général. « Il faut instaurer dans la durée une relation de confiance avec le salarié, ce qui permettra de libérer sa parole en cas de souci », estime le Dr Fabienne Jaworski, médecin du travail coordinateur dans le service de prévention et santé au travail autonome du Groupe Thalès. « Mais si le salarié aux prises avec des addictions reste dans le déni, il faut objectiver la situation avec des éléments factuels concernant l’altération de son travail et passer un contrat moral avec lui. » Lui proposer une reconnaissance en qualité de travailleur handicapé (RQTH) est possible, rappelle-t-elle, mais en dernière extrémité, la mise en inaptitude peut s’imposer, cela a été le cas dans seize cas (seulement) sur 42 000 salariés pour Thalès dans l’Hexagone en 2024.
Inspirée du jeu Cluedo et développée en 2025 par les équipes de GAE Conseil, L’Enquête propose une expérience immersive et collaborative de prévention des conduites addictives, qu’elles soient liées ou non à des substances psychoactives. Ce jeu géant, lauréat du prix de l'innovation Préventica 2025, plonge les participants au cœur d’une intrigue à résoudre en équipe, favorisant l’échange, l’engagement et la réflexion collective. Pensée comme un outil à la fois ludique, inclusif et novateur, l’Enquête s’intègre aux contextes et cultures santé-sécurité des entreprises et collectivités dans lesquels il est déployé. Ce jeu offre un espace sécurisé de dialogue sur un sujet complexe et tabou, permettant une appropriation des concepts et messages clés de prévention en rendant acteurs les participants tout au long de l’atelier. De plus, L’Enquête est un jeu qui relie la question des conduites addictives dans le monde du travail au concept de vigilance partagée.

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