En résumé
    • Les compagnons sont impliqués dans le choix des solutions les plus efficaces et les plus sécurisées pour mener à bien les chantiers.
    • Ils ont intégré le Lean et le BIM dans leur organisation du travail.

      Interview parue dans PréventionBTP n° 273-Mai 2023-p. 34

    273 grand entretien - Stéphane Clerc et Florence Marceau

    ©François Perras

    Stéphane Clerc et Florence Marceau, cofondateurs et dirigeants d’Élite Constructions, entreprise bourguignonne de gros œuvre, mettent l’humain au cœur de leur management. Grâce à leur approche, ils ont développé des relations de confiance avec leurs salariés. Leur attention portée à l’amélioration constante des conditions de travail les a conduits à introduire le Lean et le BIM dans leur organisation, au bénéfice de la qualité de vie au travail des salariés et de la performance de leur entreprise.

    Parcours

    Stéphane Clerc
    Titulaire d’un CAP-BEP dessinateur en bâtiment et d’un BTS Bâtiment, il a cofondé avec Florence Marceau Élite Constructions, en 2006. Il a suivi une formation à la gestion d’entreprise à l’École supérieure des jeunes dirigeants
    du bâtiment (ESJDB), tout comme Florence.
    Florence Marceau est titulaire d’un CAP bijoutier et d’un brevet des métiers d’art du bijou et des joyaux. « J’y vois une similitude avec le bâtiment : ce que l’on fait doit être très bien fait, minutieux et dans
    les règles de l’art. » Elle a plongé dans l’aventure d’Élite Constructions, avec Stéphane, en 2006.


    Votre entreprise a reçu un trophée Or, catégorie management de la prévention, aux Victoires de la Prévention organisées par l’OPPBTP fin 2022. Comment ce sujet s’est-il intégré dans votre parcours et dans votre entreprise ?
    Stéphane Clerc : En 2006, à la création de l’entreprise, nous avions déjà ce souci de la prévention. J’avais vécu un accident très grave sur un chantier en tant que conducteur de travaux dans une PME de cinquante salariés spécialisée dans le gros œuvre, et déjà bien impliquée sur les questions de santé-sécurité au travail. J’étais donc sensibilisé au sujet. Nous avons eu, avec Florence, la volonté de créer une entreprise à taille humaine avec un management de proximité, qui nous permettrait de mieux maîtriser les risques. Dans le bâtiment, on a souvent tendance à percevoir la prévention comme un coût et une perte de temps, alors que c’est l’inverse.
    Florence Marceau : Stéphane a toujours beaucoup échangé avec les compagnons sur le sujet des accidents et leur impact au niveau familial, personnel et financier. Le coût d’un accident est très élevé pour une entreprise, sans compter le dysfonctionnement qu’il engendre. Nous avons connu trois accidents du travail, superficiels, en dix-sept ans d’activité. Exemple : une coupure au doigt. Notre salarié n’avait pas pris le temps de remettre ses gants. Or, dans notre contrat de travail, nous indiquons bien que le port d’EPI est exigé, et il a signé un engagement à respecter ces règles. Je prends toujours le soin d’expliquer à un salarié le coût qu’un accident peut représenter pour lui s’il ne respecte pas ses engagements : la Sécurité sociale et la mutuelle peuvent ne pas le rembourser totalement. De plus, le taux d’AT-MP est majoré, ce qui engendre une augmentation des charges sur les salaires.

    L’implication de vos compagnons dans la prévention au quotidien commence dès leur intégration. Comment les accueillez-vous ?
    S. C. : Lors de l’accueil d’un nouveau ou d’un intérimaire, je leur résume ce qui doit être pour moi l’objectif de la prévention : tous les soirs, les compagnons doivent rentrer chez eux auprès de leur famille. Ils peuvent exercer leur droit de retrait comme les autres et appartiennent à l’entreprise comme les plus anciens. Nous organisons un accueil sécurité d’environ une heure, on leur explique en vidéo les risques essentiels auxquels faire attention, et on passe une journée avec eux sur les chantiers… Pour nous, l’intérim est un vivier de recrutement formidable, car les intérimaires ont pu évoluer dans une multitude d’entreprises, ils apportent leur expérience d’autres environnements et cultures d’entreprise. 30 % de nos effectifs sont issus de l’intérim.

    Lors de l’accueil d’un nouveau ou d’un intérimaire, je leur résume ce qui doit être pour moi l’objectif de la prévention : tous les soirs, les compagnons doivent rentrer chez eux auprès de leur famille. 

    Stéphane Clerc

    Pourquoi avoir choisi de vous engager dans une démarche de Lean management ?
    S. C. : Il y a quatre ans, on subissait nos chantiers, les clients étaient insatisfaits de leur déroulement et il y avait une sorte de ras-le-bol général. Lors d’une réunion de la FFB dans les Vosges sur la démarche Lean, je suis reparti convaincu de l’intérêt de cette méthode. Je me suis renseigné davantage et j’ai présenté le concept à mon équipe. J’ai été stupéfait de voir ce qu’elle a su faire en une semaine ! Finalement, ça a bien marché tout de suite, car le Lean, c’est se préoccuper de leurs problèmes. Le Lean peut s’adapter à tout type de structure, y compris les plus petites comme nous. Pour l’aménagement des véhicules, par exemple, on a impliqué les compagnons dans le choix des nouveaux véhicules et des rayonnages. Nous nous sommes accordés sur des standards – qu’il faut faire évoluer en permanence – et le rangement du dépôt aussi a évolué. Nous sommes partis du principe : on fait avec ce que l’on a, mais on s’organise autrement. Les choses dont on se sert souvent sont placées plus en proximité d’accès dans les camions : on a notamment intégré une caisse à outils dans une porte latérale. Pour répondre à nos soucis de planification, nous avons mis en place un système de panneaux avec des post-it, afin de visualiser sur quels chantiers nous allons, ainsi que les fins de chantier. C’est aussi un bon moyen de facturer plus vite, et d’éviter de laisser des chantiers en suspens.


    En plus de l’optimisation de votre organisation, que vous a apporté le Lean ?
    S. C. : Le premier gain du Lean, c’est de remettre l’humain au centre de l’entreprise. Cela ne marchera pas pour ceux qui n’ont que l’aspect financier comme objectif. C’est aussi un atout pour la sérénité de nos journées… Les conditions de travail n’ont rien à voir avec celles qui existaient il y a quatre ou cinq ans. Entraide, écoute, confiance dans les équipes ont découlé du Lean. En trois ans, nous avons multiplié par deux notre chiffre d’affaires, qui s’élève aujourd’hui à 1,5 million d’euros, avec la même structure de personnel. L’an dernier nous avons augmenté notre résultat net de 145 %, passant de 36 000 euros à 80 000 euros cette année. Mais le but premier c’est de placer l’entreprise dans des conditions de travail favorables et que les compagnons prennent plaisir à faire leur travail.
    F. M. : Nous impliquons les salariés, nous les considérons, et ils nous le rendent. Ils prennent des initiatives naturellement. Récemment, une équipe nous a appelés pour changer d’engin, car ils le jugeaient nécessaire pour mieux sécuriser des travaux en hauteur, on leur a dit de voir en direct avec le locatier. Nos compagnons ont compris que le temps que nous passons à aller chercher de nouvelles techniques, à nous informer, c’est pour eux. Ils sont fiers et les voir avec le sourire tous les matins, c’est rassurant. Sans qu’on leur demande, ils se mettent des challenges pour terminer certains chantiers plus rapidement, car ils savent que l’argent gagné ainsi par l’entreprise est réinvesti.

    Lorsque l’on prend le temps d’expliquer concrètement ce que sont nos métiers et comment les conditions de travail ont été améliorées, le regard des jeunes change.

    Florence Marceau

    Afin de tirer des enseignements de vos dysfonctionnements, vous avez également organisé un reporting. Comment avez-vous procédé ?
    S. C. : Nous avons instauré un cahier de vie de chantier où on marquait ce qui fonctionnait ou pas. De ces observations, j’ai relevé que 20 % des erreurs étaient liées au manque de savoir-faire et 80 % au manque de communication en lien avec les plans. Je l’ai chiffré comme représentant une perte nette de 50 000 à 60 000 euros par an. J’ai alors décidé de recruter Robin, notre projeteur BIM, afin de disposer d’un vrai suivi des plans.


    Comment vos équipes se sont-elles approprié l’usage du BIM ?
    S. C. : Nous avons mis à disposition une tablette numérique par équipe, avec une application pour visualiser toutes les données du chantier et suivre les mises à jour. On projette la maquette numérique des chantiers sur écran, on construit le chantier à blanc : cela nous permet par exemple d’anticiper le risque de chute de hauteur et de choisir la nacelle adaptée avant de démarrer. À la fin d’un chantier, on peut extraire toutes les photos et délivrer un historique au maître d’ouvrage. Avec le BIM, on standardise notre façon de faire et on gagne du temps sur un nouveau projet similaire.

    Le but premier (du Lean) c’est de placer l’entreprise dans des conditions de travail favorables et que les compagnons prennent plaisir à faire leur travail.

    Stéphane Clerc

    Le bâtiment est un secteur qui a actuellement du mal à recruter. Pourquoi selon vous ? Comment attirer davantage les jeunes vers vos métiers ?
    S. C. :Les jeunes sont habitués à évoluer dans un monde en 3D, avec les jeux en ligne notamment. Le BIM est un atout pour les attirer, car il est possible de faire le parallèle entre le bâtiment réel et ce qui est perçu sur l’écran. On se place un peu dans leur univers. Notre profession a pu engendrer des conditions de travail dures mais on peut s’attacher à les changer, à valoriser nos compagnons, et à leur donner de la fierté et la possibilité de réaliser des choses concrètes. Cela répond à l’attente de nombreux jeunes. Nos majors nous tirent vers le haut en matière de santé-sécurité mais nous aussi, PME et TPE, nous pouvons être vertueuses en la matière, et on a la réactivité nécessaire pour prendre des décisions rapidement.
    F. M. : Nous sommes tous les deux conseillers entreprise pour l’école. Les jeunes ne connaissent pas nos activités. Au CFA de Dijon, j’ai montré des vidéos de nos métiers, notre matériel permettant de limiter la pénibilité. Lorsque l’on prend le temps d’expliquer concrètement ce que sont nos métiers et comment les conditions de travail ont été améliorées, le regard des jeunes change.


    Que conseilleriez-vous à des entreprises de petite taille comme la vôtre qui pensent encore que la prévention, c’est un coût et qu’elles n’ont pas le temps de s’en occuper ?
    S. C. :Mon rêve serait de changer l’image du bâtiment, un « milieu sale avec de mauvaises conditions de travail ». C’est pourquoi nous partageons, autant que possible, notre expérience avec des entreprises de notre secteur mais aussi avec d’autres. Les compagnons veulent bien faire leur travail et s’ils le font mal, c’est que le chef d’entreprise n’a pas mis le bon cadre pour que ça se passe bien. Il faut apprendre à faire confiance à ses équipes.
    Ainsi, nous sommes certains qu’ils prennent les bonnes décisions au jour le jour.

    PROFIL

    Élite Constructions
    Entreprise de gros œuvre et de maçonnerie établie à Dijon (Côte-d’Or), Élite Constructions, créée en 2006, emploie dix salariés. Ses chantiers sont principalement opérés en construction neuve et en rénovation. Les principaux clients de l’entreprise sont à 80 % des maîtres d’œuvre et des architectes et les 20 % restant sont plutôt des professionnels, les chantiers de particuliers étant rares et uniquement sur recommandation de maîtres d’œuvre et d’architectes.

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