264 dossier - Sécurité : changer nos mentalités pour progresser

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    En résumé
    • Malgré un investissement conséquent sur la sécurité, les entreprises du BTP voient leur accidentologie stagner.
    • Pour briser ce plafond de verre, certaines misent sur la culture sécurité et la conscience partagée des risques.
      Dossier paru dans Prévention n°264-Juillet-Août 2022-p. 6

    Les compagnons qui, en creusant par exemple, sont en contact avec des lignes électriques, ça existe. Mais les managers sont-ils toujours avertis ? « Un chef de chantier m'a raconté qu'il remontait ces informations, jusqu'au jour où son directeur d'agence lui a reproché ces situations dangereuses », raconte Didier Bessou, chef de mission à l'OPPBTP. Ce témoignage illustre la difficulté à franchir un plafond de verre en matière d'accidentologie, malgré une énergie faramineuse déployée par les entreprises pour sécuriser au maximum le travail.
    « Que ce soit sur la sécurité technique, la mise en place d'organigrammes, de certifications ISO, de modes opératoires, bref de tout ce qui est de l'ordre du système de management de la sécurité, les entreprises mettent le paquet. Et pourtant, les chiffres stagnent », admet David Catarino, consultant senior à l'OPPBTP. Un constat d'autant plus frustrant qu'un consensus émerge sur le sujet.

    Un exemple du secteur industriel

    Cette situation, d'autres secteurs l'ont vécue, avant le BTP. La bonne nouvelle, c'est qu'ils ont réussi à inverser leurs courbes. « Il y a cinq ans, nous avons lancé un grand diagnostic. Il nous a chamboulés », se souvient Alain Quiot, délégué sécurité, sûreté et radioprotection d'EDF DTEAM, un département du géant français de l'énergie qui gère la maintenance des centrales nucléaires. Ce que révèle le diagnostic ? Les collaborateurs craignent de signaler les situations dangereuses. Ils sont noyés dans les nombreuses règles. Ils n'identifient pas les risques mortels. Les managers sont peu enclins à déclencher des « stop chantier ». Avec l'Institut pour une culture de la sécurité industrielle (Icsi), créé par des industriels français après l'accident d'AZF en 2001,
    EDF DTEAM s'engage alors dans un vaste plan d'action, qui associe ses cinq mille salariés à tous les niveaux hiérarchiques, pour faire changer les mentalités. Cinq ans plus tard, les lignes ont bougé. EDF DTEAM a fait un pas significatif dans la transformation de sa culture sécurité (lire notre article sur preventionbtp.fr). Les salariés ne craignent plus de déclarer des situations potentiellement dangereuses. Des « stop chantier » sont régulièrement initiés. Les salariés connaissent les dix règles d'or vitales.

    Le mode participatif s'invite dans la sécurité

    En 2017, l'OPPBTP s'est associé à l'Icsi pour proposer un parcours similaire dans le bâtiment et la construction. Alors que les grandes entreprises interviennent essentiellement sur le « pilier technique » et le « système de management de la sécurité », la méthode pionnière de l'Icsi remet au centre les facteurs humains et organisationnels. « Elle consiste à opérer un véritable changement dans l'entreprise et à faire travailler les collaborateurs en mode participatif sur les questions de sécurité », explique Philippe Maygnan directeur grandes entreprises à l'OPPBTP. Ce sont les entreprises du BTP les plus matures qui décident, en général, de s'y engager. Elles recherchent de nouvelles solutions pour améliorer leurs résultats, alors qu'ils stagnent ou continuent de se dégrader, malgré un fort investissement. « Elles n'en comprennent pas les raisons », témoigne Dounia Tazi directrice des opérations à l'Icsi.

    Chacun son point de vue sur les risques majeurs

    Le programme permet de faire le point. Il démarre par un questionnaire anonyme envoyé à tous les salariés. Certains constats reviennent systématiquement. Le directeur, le chef de chantier, le chef d'équipe, le chargé d'affaires, chaque compagnon : tous ont un point de vue différent sur les risques majeurs. Or, ils sont interdépendants, y compris ceux que l'on n'associe pas spontanément au sujet de la sécurité. « Pour protéger nos salariés sur le chantier, les commerciaux doivent prendre conscience qu'il faut poser les bonnes questions pour les devis, comme celle de savoir si les lignes électriques sont enterrées ou protégées », note Gabriel Rives, responsable de production de Fougeray Décoration (130 salariés), qui suit le parcours depuis 2020.

    L'exemplarité du management est essentielle

    Grâce à cette approche les équipes peuvent se « réaligner collectivement ». Elle associe les opérateurs de terrain à l'élaboration d'un nombre limité de règles d'or, bien connues de tous et appliquées, car adaptées aux situations réelles de travail. « Si les règles sont absurdes ou empêchent de travailler, les personnes ne les respectent pas ou trichent, assure la sociologue Florence Osty. Mais instaurer une culture sécurité est un processus long de changement. » Cinq ans au moins sont en effet nécessaires. Essentielle, l'exemplarité du management ne s'arrête pas au port des EPI, mais s'incarne dans la stratégie globale de l'entreprise et les décisions des managers. Imposer des conditions de sécurité à ses clients est un exemple de signal fort. Ainsi, Fougeray Décoration refuse cette mauvaise habitude, persistante dans le BTP, du travail à l'échelle. « Chez nous, on monte un échafaudage !», affirme fièrement Gabriel Rives. Une question de culture.

    Que ce soit sur la sécurité technique, la mise en place d'organigrammes […], de tout ce qui est de l'ordre du système de management de la sécurité, les entreprises mettent le paquet. Et pourtant, les chiffres stagnent. 

    David Catarino, consultant senior à l'OPPBTP.

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