Lors de la Journée mondiale pour la sécurité et la santé au travail (SST), le 28 avril, le gouvernement a organisé un colloque au ministère de la Santé pour célébrer la prévention avec les parties prenantes, afin de « pouvoir travailler mieux » à l’avenir. Les partenaires sociaux, signataires de l’accord national interprofessionnel (ANI) de 2020, ont rappelé les avancées obtenues, mais aussi les points de blocage.
Date : 05/05/2025
Marie Duribreux
© OPPBTP
Les progrès en matière de santé et sécurité au travail sont indéniables, mais « on peut toujours faire mieux », a déclaré la ministre du Travail et de l’Emploi, Astrid Panosyan-Bouvet, qui a inscrit la journée d’échanges au ministère dans la droite ligne des Assises du Travail de 2023. « On peut faire mieux en matière d’arrêts de travail, de prévention de la désinsertion professionnelle (PDP), de prévention des AT-MP et d’usure professionnelle. On peut enfin progresser dans une approche genrée de la SST », affirme-t-elle, en observant que les problématiques, déjà anciennes, se posent différemment aujourd’hui, en raison des évolutions technologiques, des aspirations de la société et de l’organisation du travail actuelles. « Le travail rend souvent fier », à condition de « pouvoir travailler mieux », souligne la ministre, et c’est la condition « pour pouvoir travailler plus et plus longtemps collectivement. »
Près de quarante-cinq ans d’études (enquêtes « Conditions de travail » et « Sumer ») ont montré que de mauvaises conditions de travail ont un effet néfaste sur la santé. « Les contraintes physiques se sont stabilisées à un niveau élevé depuis la fin des années 1990 », rappelle Michel Houdebine, directeur de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), qui note les inégalités perdurant en la matière : 11 % des salariés sont exposés à des agents cancérogènes, mais ce chiffre atteint 36 % dans la construction (Sumer 2017). Les années 1980-1990 se sont aussi traduites par une intensification du travail, stabilisée depuis à un haut niveau. Une baisse de l’autonomie a enfin été enregistrée dans les deux dernières décennies.
« Les arrêts maladie, qui représentent 85 % des arrêts indemnisés (maladie, AT-MP, maternité), totalisent 60 % de la dépense d’indemnités journalières (IJ) –10,2 milliards d’euros en 2023 », souligne de son côté Fabrice Lenglart, le directeur de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees). Avec une réalité : les arrêts de plus de six mois (seulement 7 %) occasionnent presque la moitié de la dépense (45 %). Quelle est la tendance ? On assiste à une forte croissance des arrêts maladie et AT-MP depuis 2010, avec une accélération depuis 2019, une stabilisation en 2023 et une reprise en 2024 (+ 3,9 % en volume, + 7,5 % en valeur, selon les données de la Cnam). « Les facteurs économiques – l’emploi et les prix – et démographiques – soit le vieillissement – expliquent 60 % de la croissance des IJ maladie entre 2010 et 2023 », précise Fabrice Lenglart. Mais si l’on zoome sur la période 2019-2023, on observe que l’explosion des IJ est liée à plus de 80 % à des facteurs de durée et de taux de recours, sans oublier l’impact de l’inflation.
« Contrairement à certaines idées reçues, la sinistralité du travail n’est pas parfaitement corrélée avec la progression des effectifs salariés », affirme Anne Thiebeauld, la directrice des risques professionnels (DRP) de la Cnam. Entre 1955 et 2023, se sont succédé des phases d’essor et de baisse du nombre d’accidents du travail (AT). Avec la reprise de l’activité économique en 1990, leur nombre a augmenté, mais entre 2000 et 2019, il a chuté alors que les effectifs salariés continuaient de progresser. Après la rupture de la crise sanitaire, alors que l’activité a rebondi, les AT ont encore reflué par rapport à leur niveau de 2019. En 2023, la sinistralité est historiquement basse (l’année 2020 mise à part), selon Anne Thiebeauld : 555 803 AT avec arrêt, avec un indice de fréquence de 26,8 pour 1 000 salariés. Mais la tendance est « différente selon les risques » : si la courbe des AT baisse, celles des accidents de trajets (94 023 ; + 5,1 % par rapport à 2022) et des maladies professionnelles (47 434 ; + 7,1 %) sont à la hausse. Et 1 287 décès (tous sinistres confondus) sont encore à déplorer.
De nombreux protagonistes, venus témoigner dans une table ronde, se mobilisent au quotidien en faveur de la prévention aux côtés des entreprises. « Les acteurs doivent s’efforcer d’œuvrer pour l’émergence d’une culture de prévention intégrée, et cela malgré le scope toujours plus important des problématiques à considérer », explique Mathieu Pavageau, directeur technique et scientifique de l’Anact. « Le travail en réseau – avec les Carsat – et la collaboration avec les partenaires sont essentiels », renchérit Anne Thiebeauld. Elle rappelle que la branche AT-MP, qui fait de la prévention, indemnise et tarifie, accompagne 3 % des entreprises (responsables de 30 % des sinistres) chaque année.
L’OPPBTP, seul organisme professionnel de branche dédié, s’engage à partir de la connaissance des métiers du BTP dans l’accompagnement à la prévention des entreprises du secteur – dont plus de la moitié a moins de 20 salariés –, souligne Paul Duphil, secrétaire général de l’OPPBTP, pour qui « la répétition [des messages de prévention] est mère de la pédagogie ». Il faut bien sûr aller au-delà de l’entreprise, et « intégrer l’ensemble des donneurs d’ordre à la démarche », affirme Patrick Benjamin, président du Groupe d’échanges des préventeurs interentreprises (Gepi), qui rappelle l’obligation depuis 2011 de désigner dans chaque entreprise un référent prévention.
Quels sont les freins à la diffusion d’une culture de prévention ? « Il n’est pas toujours facile de travailler avec les branches professionnelles », estime Mathieu Pavageau de l’Anact qui mène pourtant une expérimentation avec la plasturgie. Pour lui, il faut « travailler à construire des acteurs relais (mutuelles, Opco, etc.), qui permettent de démultiplier la force de frappe » en faveur de la prévention. Paul Duphil évoque aussi les bataillons que constituent les services de prévention et de santé au travail (SPST), à condition d’améliorer le travail en coopération. « Il n’y a pas de culture de prévention, unique et figée, à diffuser ; il s'agit plutôt de faire vivre une matière en constante évolution, sans confondre le prescrit et le réel, en s’autorisant à innover et en s’efforçant de lui redonner du sens pour les entreprises », conclut Séverine Brunet, directrice des applications de l’INRS.
C’est surtout « avec les travailleurs que l’on arrive à faire de la prévention », déclare Isabelle Mercier (CFDT), qui intervenait lors d’une table ronde dédiée aux partenaires sociaux. « Le paritarisme crée du droit », rebondit Éric Gautron (FO), qui rappelle que trois ANI ont été signés – en 2020 pour renforcer la prévention, en 2022 sur la branche AT-MP et en 2024 en faveur de l’emploi des seniors – même si toutes les dispositions n’ont pas encore été transposées dans la loi ou la réglementation. « L’application de la réforme de la SST est victime d’un problème de moyens », souligne Denis Gravouil (CGT), qui déplore une fois encore une suppression des CHSCT défavorable à la promotion de la prévention dans les entreprises. Les partenaires sociaux (à l’exception de la CGT non signataire de l’ANI de 2020) se sont d’ailleurs fendus d’un courrier à la ministre du Travail, le 25 avril, pour mettre en lumière les freins persistants, à commencer par « la pénurie persistante et aggravée de médecins du travail. »
Au crédit de la réforme, il y a le Passeport de prévention, dont le lancement a été annoncé par le gouvernement. Concernant la nouvelle certification des SPST, la date butoir est fixée dans les textes au 1er mai 2025. Or seuls 11 services sont déjà certifiés (4 de niveau 3, 1 de niveau 2 et 6 de niveau 1). « Les trois quarts d’entre eux sont engagés dans une démarche avec des organismes certificateurs, la dynamique est donc positive », commente la Direction générale du Travail, par mail. « Les SPST qui ne l’ont pas encore fait sont donc appelés à entamer dès que possible les démarches en vue d’une certification », et notamment « dans le cadre de la délivrance ou le renouvellement de leur agrément par la Dreets. »
S’agissant du Document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP), au cœur de la loi de 2021, les partenaires sociaux ont fait pour l’heure un constat d’échec. 50 % des entreprises ne se conforment toujours pas à leur obligation, la moitié seulement ont genré le DUERP, et seules 5 % le font remonter à leur SPSTI. Lors du comité de suivi du 17 avril dernier, les partenaires sociaux ont décidé la création de deux groupes de travail, sur le DUERP et la démographie médicale avec la question de l’articulation entre médecine de ville et médecine du travail.
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