QUE S’EST-IL PASSE ?

    Jugement correctionnel du tribunal judiciaire de Brest – 23 mars 2023

    Lors d’un chantier de construction, deux salariés d’une société en charge de travaux de manutention ont été victimes d’un accident ayant entraîné, pour l’un la mort, pour l’autre des blessures. Ces deux salariés, qui se trouvaient au niveau 2 d’une tour, avaient pour mission de réceptionner des passerelles. Au même moment, trois étages plus haut, des salariés d’une autre entreprise, spécialiste de l’isolation frigorifique, posaient des panneaux « sandwich » sur les parois du niveau 5. Pour poser les panneaux, ces salariés les passaient au-dessus de la trémie au moyen d’une ventouse suspendue à une flèche fixée sur un chariot élévateur. Un des panneaux soulevé par la ventouse s’est décroché de celle-ci et est tombé en contrebas où il a heurté les deux travailleurs.

    Le tribunal correctionnel de Brest a condamné :

    • la société spécialiste de l’isolation frigorifique à 72 000 euros d’amende pour manquements à ses obligations en matière de sécurité au travail ;
    • le maître d’ouvrage à 155 000 euros d’amende pour manquements à ses obligations en matière de coordination sécurité et protection de la santé (CSPS).

    En outre, le tribunal a condamné solidairement ces deux entreprises à verser des dommages et intérêts d’un peu plus de 37 500 euros aux parties civiles, et à une publication du jugement dans la presse locale.

    Ce jugement n’a fait l’objet d’aucun appel dans le temps imparti, ainsi, il ne pourra plus être contesté par les parties. Cette décision est donc définitive.

    POURQUOI CETTE DECISION

    Concernant la société spécialiste de l’isolation frigorifique, le tribunal lui reproche de ne pas avoir :

    • mis à disposition des salariés un équipement adapté au travail à réaliser :

    - L’emploi d’un chariot élévateur sur une surface exiguë rendait les manœuvres délicates et imposait le passage des panneaux au-dessus de la trémie, ce qui aurait pu être évité par le choix d’un autre équipement.

    - L’équipement utilisé était défectueux puisque le câble reliant la batterie à la ventouse s’est trouvé déconnecté, empêchant ainsi le bon fonctionnement de cette dernière.

    - La ventouse n’était pas non plus maintenue en état de conformité puisqu’elle n’avait pas fait l’objet de la vérification annuelle obligatoire.

    - Il n’avait pas été imposé aux salariés d’employer une sangle de sécurité, pourtant expressément mentionnée comme obligatoire dans la notice d’utilisation, et alors même que ce dispositif aurait permis d’empêcher la chute du panneau.

    • détaillé dans son plan particulier de sécurité et de protection de la santé (PPSPS) les contraintes propres au chantier et les risques en découlant, en se contentant d’un simple document-type au contenu général sans avoir analysé les procédés de construction et d’exécution ainsi que les modes opératoires.

    Concernant le maître d’ouvrage, le tribunal lui reproche d’avoir :

    • entravé la mission d’un coordonnateur de sécurité et de protection de la santé (CSPS) :

    - en prévoyant un nombre d’heures d’intervention insuffisant (61 heures) au regard des missions à accomplir et du grand nombre d’entreprises (une centaine). Ainsi le temps total de l’intervention du CSPS sur le chantier (comprenant les inspections communes, l’harmonisation des PPSPS, la mise à jour du plan général de coordination) correspondait à 36 minutes seulement par entreprise.

    - en ne donnant pas les informations relatives à toutes les entreprises du chantier, le CSPS n’était pas en mesure d’accomplir correctement sa mission. Il n’était pas convié à toutes les réunions de chantier, il n’était pas destinataire des comptes-rendus de ces réunions, ni des plannings et lieux d’intervention des entreprises. Il n’était pas non plus associé aux décisions d’organisation du chantier telles que le choix des entreprises ou le phasage des travaux. Ainsi le CPSPS n’avait pas été mis au courant de la date d’arrivée sur le chantier de l’entreprise en charge de travaux de manutention, dont les deux salariés victimes sont issus.

    • élaboré un projet de Bâtiment ou de génie civil sans établissement d’un plan général de coordination en matière de sécurité et de protection de la santé (PGCSPS). Le PGCSPS avait été initialement établi mais ne concernait que les entreprises du premier lot « bâtiment ». L’arrivée des entreprises du second lot « process » n’avait généré aucune modification de ce plan alors que leur présence entraînait des risques supplémentaires.

    Le tribunal conclut en précisant qu’il n’est pas discutable qu’une coordination non entravée et la mise à jour du PGCSPS auraient permis :

    - de coordonner l’intervention de l’entreprise en charge de travaux de manutention et de l’entreprise de l’isolation frigorifique ;

    - d’éviter qu’elles ne travaillent simultanément alors qu’il existait un risque de chute de matériel et ;

    - de prévenir le risque qui s’est réalisé pour les deux victimes.

    COMMENTAIRE

    Si le PGCSPS est élaboré par le CSPS, il n’en est pas moins établi sous la responsabilité du maître d’ouvrage. Le tribunal rappelle dans cette affaire que la structure en charge de la maîtrise d’ouvrage ne peut conférer à un tiers la qualité de maître de l’ouvrage. Ce dernier est la personne pour le compte de laquelle les travaux sont exécutés, le propriétaire de l’ouvrage (Civ. 3ème, 1er juillet 2009), celui qui a commandé les travaux et qui en supporte le risque économique (Paris, 28 février 2001). Dès lors, ces éléments qui définissent la notion de maîtrise de l’ouvrage ne peuvent être transférés dans le cadre d’une délégation ou d’un mandat à une tierce personne. Ainsi, l’entreprise de maîtrise d’ouvrage conserve la qualité de maître de l’ouvrage et encourt donc la responsabilité pénale liée à cette qualité.

    Dans ce jugement, le tribunal a tout particulièrement mis en lumière le risque de prioriser les économies financières sur la sécurité des travailleurs. Ainsi, il a également souligné la légèreté avec laquelle l’entreprise spécialiste de l’isolation frigorifique a géré ce chantier en renonçant délibérément à assurer une meilleure sécurité, au profit d’une économie financière et d’une rapidité de réalisation des travaux alors qu’elle ne pouvait ignorer le danger résultant notamment de l’impossibilité d’utiliser la sangle de sécurité.

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