Que s’est-il passé ?

    Arrêt de la Cour de cassation, Chambre civile 2 n°22.10357, 16 novembre 2023

    Lors d’une prise de poste, un chauffeur livreur alerte son employeur sur son état de fatigue particulier ce jour-là, ayant dû conduire la veille son fils aux urgences pédiatriques, ce qui a entraîné un manque de repos. Il prend néanmoins la route pour effectuer sa tournée et est victime d’un accident avec le véhicule de l’entreprise.

    L’accident étant pris en charge par la CPAM comme accident du travail, le salarié demande la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur. Pour fonder cette demande, il justifie son état de fatigue ayant entraîné l’accident par la production d’une ordonnance des urgences pédiatriques datée de la veille de l’accident, et fournit deux attestations émanant de collègues, et une attestation de son employeur. Il estime ainsi que l’employeur avait connaissance du risque auquel était exposé le salarié.

    Le tribunal correctionnel rejette sa demande et le condamne pour violation manifestement délibérée d’une obligation de prudence prévue par la loi. En effet, le tribunal considère que l’accident du salarié était dû à son comportement illégal : franchissement d’une ligne continue, vitesse excessive eu égard aux circonstances de pluie notamment, dépassement sans visibilité suffisante à l’approche d’un virage. Le salarié fait appel de cette décision.

    La cour d’appel accueille sa demande de faute inexcusable au motif que le poste de chauffeur livreur nécessite un état de vigilance particulièrement soutenu eu égard aux risques encourus, et que le salarié avait signalé à son employeur son état de fatigue susceptible de le mettre en danger. Dès lors le bénéfice de la faute inexcusable est de droit.

    L’employeur forme un pourvoi en cassation considérant que le salarié aurait dû exercer son droit de retrait.

    La Cour de cassation approuve cependant la décision de la cour d’appel en indiquant qu’il n’y avait pas lieu de rechercher si le salarié avait exercé son droit de retrait et que le lien était établi entre la fatigue signalée par la victime et les fautes de conduite à l’origine de l’accident.

    Pourquoi cette décision ?

    La Cour de cassation, dans cet arrêt, rappelle que l’article L4131-4 du Code du travail stipule que le bénéfice de la faute inexcusable, prévu à l’article L452-1 du Code de la sécurité sociale, est de droit pour les travailleurs qui sont victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle alors qu’eux-mêmes ou un représentant du personnel avaient signalé à l’employeur le risque qui s’est matérialisé.

    En l’espèce, la victime avait informé son employeur de sa fatigue particulière liée à l’absence de repos pendant la nuit, et avait produit en ce sens une ordonnance du service des urgences pédiatriques datée de la veille de l’accident, deux attestations de salariés, et une attestation de l’employeur lui-même, démontrant les faits et l’information à l’employeur. Le risque était ainsi avéré compte tenu de la nature du poste de chauffeur livreur qui nécessite une vigilance soutenue, risque qui s’est matérialisé par l’accident dont il a été victime.

    Dans ces conditions la Cour de cassation confirme l’arrêt de la cour d’appel et estime que celle-ci n’avait pas à rechercher si le salarié avait sollicité ou exercé son droit de retrait avant l’accident, ou encore si l’employeur l’avait obligé à prendre son poste de chauffeur. Dès lors que le chauffeur avait signalé à son employeur une situation de nature à le mettre en danger, et qu’un accident a découlé de cette situation, le salarié doit bénéficier de la reconnaissance de la faute inexcusable, et ce sans autre condition.

    Commentaire

    La Cour de cassation fait ici une application claire de l’article L.4131-4 du Code du travail : le bénéfice de la faute inexcusable s’applique sans condition à un accident survenu après qu’un signalement du risque ait été fait à l’employeur. Celui-ci tente, au contraire, de faire reconnaître dans ses moyens plusieurs conditions telles que la sollicitation ou l’exercice du droit de retrait, ou encore le fait qu’il n’a pas obligé le salarié victime à prendre le véhicule et à reprendre sa tournée. La décision de la Cour de cassation peut sembler sévère, puisqu’il suffirait de déclarer un risque pour qu’un accident qui surviendrait ultérieurement relève systématiquement de la faute inexcusable de l’employeur. Mais la Cour de cassation rappelle l’exact esprit du texte en vue d’inciter à porter toute l’attention nécessaire aux alertes et signalements de risques émanant de salariés ou de leurs représentants afin de prendre les mesures pour éviter que le risque ne se matérialise.

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